La conscience, telle qu’elle est conçue dans le cadre psychooptique, ne saurait être réduite à un simple processeur d’information, à un centre de traitement des stimuli, ni même à une instance réflexive au sens classique. Elle n’analyse pas : elle oriente. Elle ne déduit pas : elle choisit. Ce n’est pas une usine de pensée, mais un instrument de visée — une lentille vivante, sans cesse en mouvement, dont la fonction essentielle n’est pas de produire du sens, mais de déterminer ce qui mérite d’être vu.
La conscience est, en ce sens, analogue à un œil. Non pas un œil organique, mais un œil métaphysique — un dispositif optique d’une extrême complexité, capable de zoomer, de dézoomer, d’ajuster la netteté, de filtrer certaines fréquences, d’ignorer d’autres, de se troubler, de se fermer ou de se dilater selon l’intensité perçue. Ce que nous appelons communément "réalité" n’est, dans cette perspective, que la zone momentanément nette dans le champ de cette conscience orientée. Le réel n’est pas ce qui est, mais ce qui est capté — et plus précisément : ce qui est autorisé à être capté.
Focaliser, dans ce contexte, signifie accorder un statut d’existence à un fragment du monde. C’est faire émerger un point parmi la multitude, le sélectionner, l’amplifier, lui offrir la dignité d’un objet de pensée. Dé-focaliser, en revanche, c’est reléguer à la périphérie, laisser flou, indistinct, quasi-invisible. Le chaos n’est pas l’opposé de l’ordre : c’est ce que la conscience choisit de ne pas rendre clair.
Les lentilles, quant à elles, ne sont pas neutres. Elles sont les filtres par lesquels la conscience opère sa sélection : culture, langage, normes sociales, récits hérités, mythes familiaux, traumas enfouis. Chaque lentille teinte le visible d’un biais particulier, d’un prisme qui, à force d’habitude, devient transparent — et donc d’autant plus puissant. Ces lentilles ne sont pas posées mécaniquement : elles nous traversent, elles nous conditionnent, elles nous constituent. Voir, c’est toujours déjà voir à travers.
La pupille, dans cette architecture, est l’élément le plus intime : elle incarne l’intensité d’ouverture à la lumière du réel. Elle ne choisit pas ce qu’elle voit — elle subit la pression de la lumière. Trop de lumière, et elle se contracte. Pas assez, et elle s’élargit. Elle mesure, à chaque instant, notre seuil de tolérance au monde. C’est pourquoi, dans une optique psychooptique, l’âme peut être comprise comme cette pupille intérieure, qui module le degré de clarté que nous sommes capables de supporter.
La cécité, enfin, n’est pas une déficience accidentelle — elle est une stratégie de survie perceptive. Refuser de voir ce qui sort du cadre, ignorer l’inconfortable, détourner les yeux de l’inacceptable : autant de gestes que la conscience opère non pas malgré elle, mais en vertu d’elle-même. L’aveuglement n’est pas un échec — c’est un paramètre. Une fonction protectrice. Et c’est précisément ce qui rend l’acte de voir si redoutable.
Car voir vraiment, dans cette perspective, implique de désactiver les lentilles, de supporter le flou initial, d’agrandir la pupille au-delà de ses seuils ordinaires, et d’affronter la possibilité que ce que nous pensions réel n’était qu’une forme de netteté convenue.
Ainsi, la conscience ne nous révèle pas le monde. Elle ne nous le donne pas à contempler dans une supposée nudité ontologique. Elle le fabrique, elle l’encadre, elle le modèle selon son architecture propre. Elle n’est pas un miroir, mais une caméra — qui choisit l’angle, la distance, le filtre, la lumière. Le monde est son œuvre d’optique. Et nous, trop souvent, nous prenons cette œuvre pour la réalité.